L’entreprise a un rôle clé à jouer, aux côtés du monde associatif et des pouvoirs publics, pour lutter contre ce type de violences

“Les violences faites aux femmes sont un fléau universel qui touche toutes les cultures et toutes les populations. Je suis toujours consterné par l’omerta qui règne sur les violences faites aux femmes : c’est une cause orpheline qui ne reçoit pas l’attention et les réponses qu’elle devrait.

Je pense que l’entreprise a un rôle clé à jouer, aux côtés du monde associatif et des pouvoirs publics, pour lutter contre ce type de violences. Il reste encore beaucoup à accomplir. Sans l’effort et la mobilisation de tous, ces violences ne cesseront jamais.”

François-Henri Pinault, Président-Directeur général de Kering

et Président de la Fondation d’entreprise Kering

A l’image de la société en général, le phénomène des violences est mal connu des entreprises. Des préjugés sont associés au phénomène des violences ; elles ne toucheraient que certaines catégories sociales, elles ne seraient que physiques et/ou sexuelles et elles ne seraient pas aussi fréquentes qu’on les envisage.

Plus généralement, il y a une méconnaissance du cadre légal français : “il y a une mauvaise connaissance des violences. Un frein sociétal consiste à croire que les violences ne touchent pas toutes les strates sociales.”

France Sponem Perez, Responsable syndicale ForceOuvrière à la Société Générale

Pourquoi les entreprises s’engagent ?

Les entreprises sont amenées à mener des actions pour des raisons diverses, il s’agit souvent d’initiatives isolées qui initient une réflexion ou une série d’actions plus large.

  • La confrontation à des cas graves 
  • Certaines entreprises ont mené des actions contre les violences à la suite de cas graves de violence qui ont provoqué la mort de collaboratrices ou ont mis en danger la vie de ces dernières, parfois à proximité du lieu du travail.
  • Une personne qui se saisit du sujet

L’engagement des entreprises peut également venir d’une initiative individuelle de la part d’un-e collaborateur-rice déjà sensibilisé-e à la thématique des violences faites aux femmes, soit après une rencontre avec une association travaillant sur le sujet.

  • Une première action réussie

L’engagement de certaines entreprises peut venir également du succès d’une première action sur le thème, qui les pousse à la pérenniser. La première action de la Fondation RAJA Danièle Marcovici au sein de l’entreprise a été un succès : “en 2014, on a organisé un concours-photo : 200 personnes sur 600 ont participé à cette opération. On ne s’attendait pas à ce que ça marche autant. C’était la première fois qu’on faisait ça. […] Cette action avait été validée par la PDG.” (Anne Poterel-Maisonneuve)

C’est également le cas de la première action de l’entreprise PSA sur son site d’Aulnay : “le site d’Aulnay a été précurseur, l’assistante sociale du travail avait mené une action sur le sujet, avant que ce soit pris en compte par la fonction corporate. Une conférence avait été faite en interne, tous les managers avaient été invités ; je me rappelle de la salle, il y avait au moins 50 ou 60 personnes et il n’y avait que des hommes quasiment, c’était en 2007. C’est un évènement fort qui a par la suite influencé notre engagement formalisé dans un protocole national en 2009.” (Véronique Clouet).

Les “ portes d’entrée ” pour agir

Pour sortir les violences de la sphère privée dans laquelle elles sont confinées, les violences doivent entrer dans l’entreprise par d’autres “portes”.

Prendre conscience du coût des violences

La porte d’entrée qui apparaît la plus légitime et la plus parlante pour les entreprises est de considérer les violences comme un coût pour les entreprises. En effet, les violences ne sont pas sans conséquence sur la santé et la productivité des femmes : les absences, les baisses de performance dues à la violence représentent un coût non négligeable, qui serait un levier d’action pour les entreprises. France Sponem (FO) émet cette idée : “les violences domestiques représentent un coût pour la société et l’entreprise, que ce soit en termes d’absentéisme ou d’accidents du travail (une femme victime de violence est plus vulnérable).”

Catherine Coutelle, Présidente de la Délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, précise ces chiffres : “le cout de la violence pour l’économie est de 290 millions pour les soins de santé et de 230 millions en recours aux aides sociales

Ces propos viennent corroborer les résultats d’une étude menée par Marc Nectoux, qui a estimé que le coût global imputable aux violences conjugales en France est de 2,472 milliards d’euros par an. Les pertes de production dues aux décès, aux incarcérations et à l’absentéisme sont estimées à 1 099 millions d’euros (44 % du coût global, dont plus de 30 % sont dus à l’absentéisme), tandis que les pertes de productivité liées aux arrêts de travail s’élèvent plus de300 millions chaque année (Nectoux, Marc, et. al, 2010, p 411).

Pour de nombreuses personnes interrogées, si les entreprises avaient conscience de ces pertes de productions et des chiffres qu’elles représentent, elles seraient plus enclines à agir contre les violences, comme l’indique Isabelle Lemaire de l’association RHESO : ”pour changer la donne, il faut donner des chiffres économiques à l’entreprise, cela permet de faire prendre conscience de l’ampleur, par exemple le coût des arrêts maladie. »

Agir sur la sphère privée, l’exemple de la prévention de l’alcoolisme

Le sujet des violences est souvent considéré comme appartenant à la sphère privée. Pour légitimer des actions sur cette thématique, certaines personnes interrogées suggèrent d’aborder les violences comme le sujet des addictions au sein de l’entreprise. Pascale Vion, membre du groupe de la mutualité au CESE explique que certains sujets privés sont déjà présents dans l’entreprise, notamment l’alcoolisme. » Carole Keruzore, de l’association Libre Terre de Femmes« , partage ce point de vue : ”les entreprises pourraient jouer un rôle de prévention, elles le font bien sur la question de l’alcool. » L’alcool et la prise de drogues sont à l’origine de 20 à 30% des accidents de travail et coûtent aux entreprises en moyenne 1,5% de la masse salariale annuelle19. L’entreprise est tenue d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleur-se-s (Article L.4121-1 du Code du Travail) et est également responsable des dommages que ses salarié-e-s peuvent causer à des tiers (Article 1834 du Code Civil). Face à ses obligations juridiques, les entreprises se sont saisies du sujet et ont mis en place des actions pour lutter contre les addictions.

On peut donc imaginer une telle démarche possible pour les violences faites aux femmes, les violences pouvant représenter un risque pour la santé physique et mentale des salarié-e-s et la sécurité de tou-te-s les collaborateur-rice-s.

Risques psychosociaux, QVT : des thématiques leviers

Une autre porte d’entrée soulevée par certaines entreprises serait d’inclure les violences faites aux femmes dans la notion des risques psychosociaux« . Dans la définition donnée par l’INRS, les risques psychosociaux correspondent notamment à des situations de travail où sont présents, combinés ou non : du stress – déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face – ; des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salarié-e-s – harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes – ; des violences externes commises sur des salarié-e-s par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…)« .

Dans certaines entreprises, un élargissement de la définition des risques psychosociaux a été suggéré pour intégrer les violences. C’est le cas par exemple de la réflexion à laquelle a abouti Brigitte Lebreton (PSA Rennes) : ”nous avons les 10 signes d’alertes sur les RPS, c’est sur cette thématique que nous travaillons principalement. Les RPS peuvent être aussi la clé d’entrée.”

Les actions mises en place par les entreprises

Si certaines entreprises en sont encore au stade de la réflexion concernant la thématique des violences faites aux femmes, certaines institutionnalisent des actions dans des documents internes à l’entreprise et d’autres mènent des actions ponctuelles.

  • Un engagement dans les accords égalité femmes-hommes

Chez PSA et Orange, la lutte contre les violences faites aux femmes a été institutionnalisée dans les accords d’entreprise. Xavier Guisse (DRH/RSE – PSA Peugeot Citroën) explique : “nous avons signé un protocole en 2009 sur la question des violences entre Denis Martin, Directeur des Ressources Humaines, et Xavier Darcos21. Il indiquait qu’on devait informer et relayer les campagnes. La volonté était je pense de se saisir d’un sujet innovant. On était l’une des premières entreprises à le faire.” L’accord est triennal et la mention fut reconduite en 2011 et 2014.

Chez Orange, l’institutionnalisation est plus récente : “dans notre accord égalité femmes hommes 2014, nous avons une mention des violences faites aux femmes. Nous n’avions pas de mention auparavant. Entre l’accord de 2011 et celui de 2014, de nouveaux thèmes ont été intégrés, notamment la lutte contre le sexisme, contre le harcèlement et contre les violences faites aux femmes.” (Roxane Adle-Aiguier).

  • Le relais des campagnes nationales

Que la lutte contre les violences faites aux femmes soit ou non inscrite dans des

documents internes des entreprises, les actions menées par les entreprises sont souvent ponctuelles. Une des actions menées par les entreprises est le relai des campagnes nationales voire internationales. Chez PSA, sur le site de Vesoul ce sont plutôt les campagnes nationales qui sont privilégiées: “En 2012, nous avons fait un article pour promouvoir les campagnes nationales, affichées en interne, notamment aux infirmeries.” (Jennifer Sassard-Laïfa).

En complément de la diffusion des campagnes nationales lancées par ses partenaires en France, Italie et au UK, la Fondation Kering a depuis 4 ans renforcé l’implication des collaborateur-rice-s et des client-e-s du Groupe en lançant la White Ribbon for Women Campaign : “afin de sensibiliser le plus grand nombre à l’occasion de la Journée Internationale pour l’Elimination des Violences faites aux Femmes, le 25 novembre, Stella McCartney, membre du Conseil d’administration de la Fondation, a conçu un badge avec le symbole du ruban blanc. L’an dernier il a été distribué à 200 000 exemplaires au sein des marques de luxe dans le monde. La campagne sur les medias sociaux a également permis de toucher plus de 325 millions d’internautes.” (Céline Bonnaire)

  • Informer sur les violences

Une des actions les plus répandues dans les entreprises est la sensibilisation et la diffusion d’informations sur les violences faites aux femmes, à l’occasion du 25 novembre.

C’est le cas notamment de la Fondation RAJA-Danièle Marcovici qui pense à de telles actions pour l’ensemble des collaborateur-rice-s de RAJA : “l’année dernière, on a proposé un concours-photo, nous avons relayé la campagne de l’ONU, on incitait les collaborateurs à porter la couleur “Orange” en soutien à cette journée. […] On a remis le prix lors de la fête de Noël, on a exposé les photos, on les a laissées exposées pendant 15 jours dans l’entreprise.

C’était la première fois qu’on utilisait le 25 novembre comme un moment de sensibilisation de nos salarié-e-s.” (Anne Poterel-Maisonneuve).

Le 25 novembre est également un jour de sensibilisation sur le site PSA de Rennes : “lors du 25 novembre nous avons organisé une sensibilisation des salarié-e-s, dans les journaux de communication interne, sur notre intranet et il y a eu mise à disposition de l’information aux ouvriers par papier. Les informations ont été affichées également dans les lieux de passage commun : infirmerie, salles d’attente, au service social.” (Brigitte Lebreton)

A l’initiative de l’assistante sociale du personnel, le Département Qualité de Vie au Travail de la CRAMIF a mené une journée de sensibilisation autour du 8 mars sous la forme d’une exposition autour de l’égalité femmes-hommes, en 2014. “L’objectif était d’interpeller les salariés sur la question du genre et de mettre en présence les partenaires internes (l’assistante sociale du personnel, le responsable du Pôle Habitat, le préventeur, le service de santé au travail…) et externes (LTF, Droit de Cité Habitat, AVFT, SOS Hommes Battus ” (Nicole Eyené, Assistante Sociale du Personnel, CRAMIF).

Dans les entreprises que nous avons interrogées, il n’existe pas d’affichage permanent : il a lieu lors de journées particulières telles que le 8 mars ou le 25 novembre.

  • Former et sensibiliser ses salarié-e-s, en partenariat avec une association

Les entreprises qui ont mis en place une formation pour leurs salarié-e-s sont rares.

Cependant, nous avons constaté que lorsque ces formations ont été mises en place, elles faisaient à chaque fois l’objet d’un partenariat avec des associations. C’est le cas notamment pour la Fondation Kering : “la FNSF est partenaire de la Fondation Kering depuis le tout début.

Suite à des discussions sur comment amener la thématique des violences conjugales dans l’entreprise, nous avons conçu ensemble un module de formation de 3 heures pour les collaborateurs. Notre approche est de faire comprendre le phénomène des violences conjugales, déconstruire les stéréotypes et créer un environnement de travail qui soutienne les femmes victimes. Nous avons ensuite dupliqué ces formations en Italie avec notre partenaire DiRe et enfin, en début d’année, adapté la formation au contexte du Royaume-Uni avec notre partenaire Women’s Aid. Et nous allons continuer à mettre en place ces formations dans l’ensemble des pays où le Groupe est présent.” (Céline Bonnaire).

La Fondation RAJA-Danièle Marcovici a eu recours aux services d’une compagnie de théâtre : “nous avons également la “semaine de l’engagement solidaire”, en juin. Chaque jour une association intervenait sur une thématique. On a fait intervenir la compagnie “Désamorces” sur la question des violences faites aux femmes.” (Anne Poterel-Maisonneuve). A noter cependant que l’intervention portait principalement sur les violences faites aux femmes dans le cadre du travail. Les associations sont mobilisées ici pour leur maîtrise du sujet et les outils qu’elles possèdent pour former et sensibiliser les collaborateur-rice-s.